5 techniques d’écriture originales dans « Les Furtifs » d’Alain Damasio


écriture / lundi, avril 19th, 2021

Vous êtes vous déjà demandé pourquoi certains livres sont meilleurs que d’autres.

Qu’est-ce qui fait qu’un roman soit publiable tandis que le vôtre repose sagement dans un tiroir ?

Personnellement, ça me fascine. Dès que j’ai le temps, j’étudie de grands auteurs pour comprendre le fonctionnement de leurs oeuvres et améliorer mon écriture.

Alors quand j’ai découvert Les Furtifs d’Alain Damasio, un livre de science- fiction, j’ai sauté sur l’occasion.

L’ouvrage est bourré de techniques d’écriture que je n’avais jamais vues ailleurs.

Bien entendu, il serait très long et fastidieux de les lister toutes. Mais je vous en fait une sélection de 5 astuces qui pourrait vous aider à rendre vos romans plus immersifs.

Et pour ceux qui se sont inscrits à la newsletter, j’espère que la 6e astuce dans mon mail du lundi vous a bien plu 🙂

La mise en page comme procédé narratif

Saviez-vous qu’il est possible de raconter une histoire avec la mise en page ?

C’est d’ailleurs l’originalité du roman Les Furtifs. L’auteur se sert des typographies et de l’agencement du texte comme d’une technique d’écriture.

À certains moments clés de l’intrigue, la mise en page va se modifier pour refléter les émotions des personnages.

Par exemple, lors d’une scène de sexe intense sur le plan psychologique. On trouve cet agencement textuel :

extrait de la mise en page particulière de Les Furtifs d'Alain Damasio
note : il s’agit ici d’une photo du livre, le texte est un peu de travers par rapport à l’original (j’aurais pu faire plus droit mais il aurait fallu arracher la page :s)

L’intérêt de ce procédé est de renforcer l’immersion du lecteur. La mise en page devient littéralement le point de vue du personnage. Elle agit comme une caméra.

Ça peut donc être une astuce intéressante à intégrer dans vos romans. À vous de jouer !

Les changements de personnages dans Les Furtifs

Régulièrement sur les réseaux sociaux, je vois des auteurs qui se demandent s’il est possible de changer de personnages au sein d’un même chapitre.

Et ma réponse à cette question est…(roulement de tambours) : oui, c’est possible !

Par contre, il faut faire attention que le changement reste compréhensible pour le lecteur.

Généralement, la plupart des écrivains utilisent les points de suspension ou des astérisques pour signaler le nouveau personnage.

Dans Les Furtifs, Alain Damasio emploie une autre technique : les signes.

Chaque personnage se voit attribuer un signe et il revient au lecteur de deviner qui agit en fonction de signes typographiques et de sa façon de parler.

Les signes dans les Furtifs d'Alain Damasio permettent de délimiter les personnages

L’intérêt de ce procédé est qu’il force le lecteur à avoir une lecture active. Il doit s’impliquer pour comprendre l’histoire.

Le revers de la médaille, c’est que plusieurs lecteurs ne feront pas cet effort. Donc attention si vous envisagez d’intégrer un procédé similaire dans vos romans.

Foreshadowing typographique

À ma connaissance, c’est la première fois que je vois ce procédé dans un roman.

À un moment donné, dans Les Furtifs, on trouve ce passage :

Extrait du foreshadowing dans les furtifs d'Alain Damasio

Sur le moment, on ne comprend pas bien la signification de ces virgules, sauf que page 655, ces virgules apparaissent de nouveau.

Et devinez quoi ? Il se passe un truc en rapport avec la discussion avec l’un des personnages de la discussion.

Alain Damasio s’est donc littéralement servi d’un signe de ponctuation pour créer un foreshadowing.

Si vous arrivez à réutiliser ce truc-là, chapeau !

La particularité du conditionnel dans Les Furtifs

Ça va devenir une habitude mais c’est encore une chose que je vois la première fois dans un roman.

Pour simuler un effet de choc ou d’état second, Alain Damasio utilise le conditionnel pour parler d’événement en train de se dérouler.

Comme si la personne se dédoublait et que ce qui était en train de lui arriver ne se déroulait pas vraiment.

Et vous, vous avez déjà vu ça dans un autre livre ? Je suis curieux de le savoir.

Avant de lire la suite. Ne loupez plus mes astuces par mail. Inscrivez-vous à la newsletter et recevez en cadeau un ebook 🙂

Les inserts d’Alain Damasio

Dans le monde de Les Furtifs, la publicité est devenue omniprésente et intrusive.

Pour simuler cet effet, l’auteur de La Horde du Contrevent place au milieu des pensées des personnages des slogans publicitaires.

Comme une pub à la TV, elle coupe pendant un instant le court de l’histoire et renforce l’immersion.

extrait montrant les inserts dans les furtifs

Ce procédé est très intéressant, je trouve, car facilement transposable à n’importe quel roman.

Les pubs peuvent ainsi devenir :

  • des litanies (coucou l’Appel de Cthulhu !)
  • le susurrement d’une entité
  • de la télépathie
  • des extraits de discussion
  • etc.

Sur cette dernière astuce, il est temps de tirer ma révérence. Mais avant cela faisons un rappel de ce que vous avez appris et comment tirer parti de ces connaissances.

Au début de cet article, on se demandait pourquoi certains livres sont meilleurs que d’autres. Puis, nous avons vu que des astuces permettaient d’écrire de meilleurs romans.

C’est bien, mais ça n’est pas suffisant. Il faut maintenant pratiquer. Je vous conseille à ce titre de tester les techniques qui vous plaisent dans une nouvelle.

D’ailleurs, n’hésitez pas à me dire celles qui vous plaisent le plus et pourquoi pas un livre que vous aimeriez que j’analyse.

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12 réponses à « 5 techniques d’écriture originales dans « Les Furtifs » d’Alain Damasio »

  1. Je n’accroche pas ! Cette avalanche de points, sur des lettres des voyelles qui s’auto-suffisent ? Je n’accroche pas ! Pourquoi, perdre le lecteur dans une avalanche de caractères, déviés de leur fonction première ? Il existe depuis longtemps, la peinture qui permet d’entrer dans le pointillisme de SEURAT… Alors non ! Que Alain Damasio, arrête le massacre ici et maintenant ! Là, où les fautes d’orthographe et ponctuation, sont déjà légion. Merci, de faire le nécessaire…
    Signé un auteur contrarié : Paul BOISSIER.

    1. Bonjour M.Boissier,

      C’est tout à fait votre droit. Il s’agit clairement d’un livre clivant. On aime ou on aime pas. Pour autant, je trouve la démarche de l’auteur très intéressante et elle a le mérite de sortir des sentiers battus.

      Personnellement, la lecture de ce roman m’a ouvert des perspectives d’où la raison de cet article 🙂

      Bonne journée 🙂

    2. Bonjour. Vous n’accrochez pas, et c’est acceptable. Mais de demander que Damasio arrête la massacre (je sais c’est de l’humour), ce serait dommage. Ces points et ponctuation ne servent pas qu’à indiquer quel personnage parle, ils indique leur niveau de stress. Quand la tension monte ces ponctuations augmentent. Il y a des relectures à faire. C’est très intéressant de voir toutes ces utilisations.

      1. J’avais pas du tout fait attention que la ponctuation augmentait en fonction du stress, je vais regarder ça, c’est intéressant. Pour moi, je l’analysais uniquement comme un marqueur de changement de personnages (et c’est le cas, puisqu’il y a le résumé des différents signes correspondant à chaque personnage sur une des tranches du livre). Comme quoi, ce livre regorge de procédés insoupçonnés.

  2. C’était déjà le cas dans La Horde du contrevent. Damasio est un styliste que utilise toutes les ressources à sa disposition. Si on accroche à sa façon de faire (ce qui est mon cas, mais uniquement parce que par ailleurs son écriture est magistralement poétique), on tombe littéralement dans ses livres. Autant dans la langue parlée, l’accent ou l’intonation jouent un rôle considérable dans la perception du sens, autant dans la langue écrite la typographie peut ajouter quelque chose. Dans la lignée des calligrammes et des poètes de L’OULIPO (OUvroir de LIttérature POtentielle).

    1. Tout à fait, la référence à l’Oulipo est très bien trouvé. On pourrait même penser au Dadaïsme 🙂

      Pour le moment, je n’ai pas encore lu La Horde du contrevent (ça fait partie de ma longue pile à lire ^^)

  3. Très intéressant, notamment la technique de foreshadowing.

    Il est vrai que cet usage de la ponctuation et de la syntaxe peut sembler un peu artificiel. En fait, je me demande comment appliquer un style similaire sans que ce soit aussi « voyant », et sans recourir à la voix du narrateur.
    Le problème avec ces signaux, c’est qu’on est obligé de prévenir le lecteur à un moment où l’autre. Il y a la question de la rupture.

    En tout cas l’article est très pertinent.

    1. Bonjour Céline ! Merci pour ton retour ! Pour répondre à ta question, tu dois essayer de détourner l’attention du lecteur de l’indice que tu veux laisser, on appelle cette technique la fausse piste. J’ai abordé ce sujet dans la newsletter et comme cela a beaucoup plu les lecteurs m’ont demandé d’en faire un article. Vous aurez donc la réponse à votre question probablement la semaine prochaine (si je tiens mon planning ^^) avec plusieurs méthodes pour détourner l’attention du lecteur.

  4. Le coup des inserts publicitaires a déjà souvent utilisé dans la SF. De mémoire dans Tous à Zanzibar de Brunner c’était dejà le cas en 1968. En tout cas merci pour ces reflexions éclairantes.

  5. Bonjour Martin, et merci pour cet article pertinent. Je le découvre tout juste, ayant lu Les Furtifs il y a quelques mois. Pour ma part, j’ai d’abord eu de la peine à m’immerger dans la narration de l’auteur, dans ses techniques d’écriture fuyant l’ordinaire. Puis j’y ai pris goût. Au-delà de l’histoire même, qui m’a plu sans me transcender, je suis tombée d’amour pour cette poésie sans pareille, ce renouveau des mots et de sens auquel s’attelle Damasio. Grâce aux procédés étranges et innovants que vous citez, l’auteur porte le récit à un tout autre niveau que la littérature usuelle. La narration ne se suffit plus des mots, déjà riches, mais prend du relief pour se jouer sur de multiples autres plans, à la fois stylistiques et, si je puis dire, cérébraux. L’histoire, bien que passionnante, n’est pas ce qui m’a le plus touchée. La comparaison me vient d’elle-même : de la même manière que le contact des furtifs influe sur les humains, engendrant de graduelles mutations jusque dans le fonctionnement de leur mental (confer l’évolution progressive de leur langage et de leur pensée, dont les lettres changent de position dans les mots, ou la ponctuation qui s’emballe lorsqu’ils perdent pied, à l’image de Ner au moment d’« invoquer » ; confer le déplacement de la conscience sur un autre plan lorsque les capacités furtives se manifestent, comme lorsque Lorca Varèse se découvre capable de se cacher en anticipant le moindre mouvement de ses pisteurs ; confer l’usage déconcertant du conditionnel lorsque ce même personnage se sent sortir de son corps et vivre les événements à la troisième personne, ainsi qu’il le décrit), je suis sortie de cette lecture avec le sentiment d’avoir entamé une mutation : structurellement parlant, je sens parfois mon langage et mes pensées se déplacer sur d’autres plans. En voilà un exemple : je suis absolument fascinée par l’emploi atypique du conditionnel que fait Damasio, et que vous décrivez. Je me suis arrêtée de longs moments durant ma lecture pour le comprendre, non seulement sur le plan intellectuel (il est aisé d’accepter l’idée que ce conditionnel exprime une sorte d’état second), mais également dans ses fondements profonds ; ce que je n’ai pas réussi. Je n’ai pas réussi à sentir, en moi, ce conditionnel couler naturellement, à en ressentir la relevance profonde. Jusqu’à aujourd’hui. M’adonnant à l’écriture par loisir, je suis arrivée à une scène où le protagoniste, profondément chamboulé par un événement qui le dépasse et remet en question son existence, doit toutefois poursuivre son chemin. Tout ce qui se déroule autour de lui prend alors une nuance de rêve. C’est ainsi que j’ai écrit, tout naturellement : « L’oiseau les porta jusqu’au lac. […] Alors, elle aurait vu la roselière. Elle se serait laissé tomber dans l’eau miroitante. Elle aurait couru à sa surface. » Et ainsi de suite. Cette extension du conditionnel ne se joue pas qu’au niveau esthétique, je la ressens au niveau mental. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec les mutations cérébrales initiées par les furtifs. Et je trouve cela absolument fascinant.
    Je suis tombée sur votre article en cherchant si cet usage du conditionnel était correct, bien que rare, afin de pouvoir le préserver tel qu’il m’est venu dans mon récit. Il est peut-être un peu tard pour ajouter mon commentaire, toutefois. Si quelqu’un le découvre et peut répondre à cette question, j’en serais très reconnaissante.
    Avec mes remerciements.

    1. Bonjour Manon et merci pour ton énorme commentaire ^^

      Oui, alors pour moi ça me semble correct et j’ai même envie de te dire si ça ne l’est pas, on s’en fiche, tu cherches ici à faire passer une émotion pas avoir un 10/10 en conjugaison. C’est le privilège des écrivains, on a le droit de jouer avec la langue avec des fins artistiques .

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