Ces choses que vous ignorez sur le paragraphe


écriture / mercredi, juin 12th, 2019

Je ne sais pas si vous étiez dans mon cas mais pendant longtemps je changeais de paragraphe un peu au feeling. Sans trop me poser la question du pourquoi. Je trouvais ça visuellement plus beau et basta.

J’avais tort.

Il existait un monde sur le paragraphe que je ne connaissais pas. Le monde des professionnels.

Loin de moi l’idée de vous dire que j’en suis un mais je suis comme vous, je travaille dur pour pouvoir un jour vivre de ma plume.

Et là, j’ai découvert quelque chose qui vaut le coup d’être partagé. Le vrai rôle du paragraphe dans un récit.

C’est quoi un paragraphe?

On va pas se mentir, c’est probablement la partie la plus chiante de l’article. On part sur de la définition du paragraphe façon discours politique.

Alors, on va faire vite comme les clercs (oui, je sors sans vergogne un jeu de mots pourri 😉 )

A votre avis, Qu’est-ce qu’un paragraphe?

Il s’agit en gros d’un bloc de texte d’une à plusieurs phrases sur un même thème structurant les pages d’un roman.

On matérialise le passage d’un paragraphe à un autre par un alinéa. C’est à dire, un retour à la ligne suivi ou non d’un espace initial comme l’illustre l’exemple ci-dessous.

On matérialise les paragraphes par des alinéas. Les alinéas sont des retours à la ligne suivis ou non d'un espace au début du paragraphe.

Dans la hiérarchie du texte, le paragraphe est un élément très important. C’est l’unité la plus importante après le chapitre et la page. Il possède donc un rôle primordial dans la narration (mais patience, nous verrons ça dans la suite de l’article 😉 )

Quand change-t-on de paragraphe?

Pour moi, la réponse à cette question a été longtemps obscure. Combien de phrases faut-il avant de terminer un paragraphe? Peut-on faire des paragraphes ultra courts (quelques mots?)?

Je ne savais jamais quoi faire et je faisais à la louche alors que la réponse était simple comme bonjour.

Un paragraphe= un thème donc tout changement de thème vaut changement de paragraphe.

ça, c’est la règle à retenir.

On s’en fiche de savoir si vous avez une phrase, deux phrases ou 50 phrases. Si vous changez de sujet alors vous changez de paragraphe.

Bon, dit comme ça, ça a l’air simple. En réalité, il y aura plusieurs moments où vous ne saurez pas si vous changez de thème/de sujet.

Dans ces cas, la réponse réside dans votre appréciation.

Pour vous aider, voilà une petite liste de choses qui peuvent induire un changement de paragraphe:

  • la description d’un lieu différent
  • un changement de personnage
  • un changement de temporalité
  • une nouvelle action
  • le passage du récit au dialogue

Plus largement, cette liste peut inclure tout changement dans votre récit.

ex:

Un exemple de changement de paragraphe.

Comment enchaîner les paragraphes?

La progression thématique linéaire

Vous ne savez pas pourquoi vos paragraphes semblent déconnectés les uns des autres.

Vous ne comprenez pas pourquoi votre texte n’est pas fluide.

Peut-être que votre solution réside dans la progression thématique linéaire.

Il s’agit d’une expression que j’emprunte à Frédéric Callas dans son livre Introduction à la Stylistique.

Ce procédé consiste à prendre un mot/une phrase du paragraphe précédent pour le développer dans le suivant.

De cette façon, vos paragraphes s’enchaîneront naturellement car ils découlent des précédents.

Ex: (je vous ai mis en gras, les points sur lesquels s’appuient le texte pour progresser)

Papa hocha de nouveau la tête et se mit à danser nerveusement d’un pied sur l’autre, éclaboussant mon pantalon de boue et de purin. Sa casquette trempée dégoulinait. La pluie n’avait pratiquement pas cessé depuis un mois. Les arbres commençaient à bourgeonner, mais le printemps tardait à venir.

Mon père était fermier, comme son père avant lui. Et le premier soucis d’un fermier est de conserver ses terres (…).

Mieux vaut donc être bien vu du voisinage! Si on possède une grosse ferme et qu’on ait confié au forgeron de nombreux travaux, il accepte parfois un apprenti. Cela fait déjà un fils de casé.

J’étais le septième enfant, et toutes les possibilités avaient été épuisées.

Extrait de L’Apprenti Epouvanteur de Joseph Delaney

La progression thématique à thèmes dérivés

C’est bien beau de dire qu’il faut s’appuyer sur un élément du paragraphe précédent pour avoir un texte fluide, parfois vous aurez envie de plus de diversité.

Dans ces cas, la progression thématique à thèmes dérivés pourra vous aider (encore une expression de M. Callas).

Il s’agit de développer un thème central que vous scinderez en différentes sous-parties, soit au sein d’un seul paragraphe, soit sur plusieurs paragraphes.

Contrairement à la progression thématique linéaire, vous n’aurez pas besoin de développer un mot/une phrase du paragraphe précédent. Vous pourrez repartir sur complètement autre chose du moment que ça se rattache à un thème central.

Par exemple:

L’atelier était empli du capiteux parfum des roses, et, lorsque la légère brise d’été frémissait parmi les arbres du parc, la lourde odeur du lilas franchissait la porte ouverte, à moins que ce ne fût la senteur plus délicate de l’églantine aux fleurs rosées.

Du coin du divan, fait de sacs de selle persans sur lesquels il reposait en fumant, comme d’habitude, d’innombrables cigarettes, Lord Henry Wotton voyait à peine briller des fleurs sentant le miel dont elles avaient la couleur (…)

De temps en temps, des ombres fantastiques d’oiseaux zébraient le long de tussor de soie (…)

Extrait du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde

Dans cet extrait, observez comment Oscar Wilde développe un thème central (le jardin de l’atelier) sans pour autant reprendre les éléments des paragraphes précédents.

Le tout crée une impression de tour de caméra, on passe d’un élément à un autre sans les développer mais on comprend l’essentiel: une description paradisiaque de jardin.

Ainsi, selon le choix de progression textuelle, vous donnerez à vos descriptions/votre narration un sentiment très différent: une sorte de panoramique pour la progression à thèmes dérivés alors que la progression linéaire se rapprocherait plus d’un zoom (en tout cas, c’est mon ressenti).

En conséquence, on peut s’amuser avec la manière d’enchaîner les paragraphes mais aussi avec la manière de placer les éléments au sein de ces derniers. C’est ce que nous allons voir maintenant

Jouer à cache cache avec les paragraphes

J’avais commencé à l’esquisser dans mon article sur comment écrire un premier chapitre, le paragraphe est un endroit idéal pour jouer avec le lecteur.

En plus, c’est facile comme remplacer le sel par le sucre au moment du café 😉

Il faut juste retenir deux choses:

  1. l’attention du lecteur se focalise d’avantage sur le début ou la fin d’un paragraphe. Donc petite question: à votre avis, où placeriez-vous les informations qui doivent être remarquées par le lecteur? Au début ou à la fin. Bravo à ceux qui ont trouvé la réponse 🙂
  2. le milieu d’un paragraphe est le moment où on est le moins attentif. Surtout si on est au milieu d’une longue énumération. L’endroit idéal pour cacher des choses à notre lecteur 😉

Comme par exemple, un médaillon super important placé au milieu d’une longue énumération:

(…) il y avait également une boîte à musique d’où s’élevait une mélodie aigrelette et un peu sinistre lorsqu’on la remontait. En l’entendant, ils se sentirent étrangement faibles et somnolents jusqu’à ce que Ginny ait le bon sens de refermer le couvercle. Ils trouvèrent aussi un lourd médaillon que personne ne parvint à ouvrir, un bon nombre de sceaux anciens et enfin, dans une boîte poussiéreuse, une médaille de l’ordre de Merlin, première classe, qui avait été décernée au grand-père de Sirius pour « services rendus au ministère »

Extrait de Harry Potter Et L’Ordre Du Phénix de J.K.Rowling

Nous arrivons presque au bout de notre périple sur le paragraphe. Il nous reste un dernier truc à voir. Un truc plus expérimental…

Et le visuel dans tout ça?

Pour finir, j’avais vraiment envie de vous donner de l’inspiration. De vous donner envie de casser les codes, de faire des choses un peu fofolles.

Même si c’est plutôt dans le cadre de la poésie, certains auteurs se sont amusés à jouer avec le visuel du texte. Alors pourquoi pas vous avec les paragraphes?

Voici, quelques beaux exemples desquelles s’inspirer:

Dans cet exemple, Mallarmé joue avec le blanc du papier et n'hésite pas à placer ses strophes aléatoirement sur le papier en laissant des espaces blancs
Extrait D’un Coup De Dés Jamais N’abolira Le Hasard de Stéphane Mallarmé

Autre exemple:

Dans cet exemple, Apollinaire c'est servi des strophes pour former une Tour Eiffel
Extrait des Calligrammes de Guillaume Apollinaire (source: le blog paris à nu)

Sur ces beaux exemples, cet article s’achève. J’espère qu’il vous aura plu. Qu’il vous aura inspiré.

N’hésitez pas à me notifier sur facebook ou tweeter si vous créez des paragraphes étonnants, je retweeterais/partagerais avec plaisir 🙂

petit tips de fin : faîtes attention à ne pas écrire « parragraphe » (une gaffe qui m’arrive fréquemment 😉 )

image mise en avant: photo de Mikhail Vasilyev

Si l’article vous a plu, n’hésitez pas à partager mon travail à d’autres en cliquant juste en dessous. Ça serait une belle récompense pour le travail effectué 🙂

16 réponses à « Ces choses que vous ignorez sur le paragraphe »

  1. Très clair et complet comme d’habitude ! J’aime les paragraphes cohérents, je suis toujours agacée dans certains romans quand l’auteur va à la ligne à chaque phrase (pour remplir sa page ?) Plutôt qu’un panoramique, je visualise la progression à thèmes éclatés / dérivés comme un soleil, je place mon thème au centre et je tire des « rayons » en fonction des infos, souvent un « rayon » pour la vue, un pour les sons, un pour les odeurs etc. Et j’ai tendance à construire dans l’ordre inverse, c’est-à-dire imaginer le chapitre (= une étape de l’intrigue) que je divise en scènes (= objectifs intermédiaires) que je redivise en paragraphes (= moyens de se rapprocher de l’objectif). Voilà, on a tous nos petites astuces, merci encore pour les tiennes !

    1. Merci Hélène. Très intéressante ta méthode du « soleil » où tu divises tes paragraphes en fonction des sens. Je sais que c’est un conseil qui marche bien pour la description. Idem pour la construction, on peut partir dans les deux sens (chapitre-scène-paragraphe ou pragraphe-scène- chapitre). Personnellement, je préfère désormais écrire mon script en partant de la fin qu’en partant du début (je trouve ça plus cohérent pour l’évolution) mais après c’est une question de goût personnel.

  2. J’avais bien le quand on change d’idées on change de paragraphe mais j’étais quand même persuadé qu’il y avait une histoire de longueur, qu’on ne pouvait pas faire juste une phrase ou deux et faire un nouveau paragraphe.

    Par contre le coup de mettre les éléments important en début ou en fin, c’est tellement évident que je n’y avait même pas pensé…idem pour les éléments cachés au milieu d’un paragraphe! Ca par contre je vais souvent le réutiliser !

    Encore un excellent article que dire de plus à part merci ! :):)

    1. Et bien je t’en prie. Merci pour ton commentaire Mélianor.

      Pour ce qui est des paragraphes courts, normalement tu devrais en retrouver dans les romans contemporains. C’est souvent utilisé après un paragraphe plus long pour créer un effet de mise en valeur.

      Si possible, si tu peux placer une information intrigante/une révélation dans ce court paragraphe ça marche bien.

      ex:

      Jenny se demandait pourquoi cette agression. Etait-ce à cause de la couleur de ses cheveux? Etait-ce à cause de la rondeur de ses formes? Ou tout simplement, était-ce parce qu’elle avait été là au mauvais endroit au mauvais moment? Une victime anonyme de plus dans la masse informe de l’indifférence. Jenny haussa les épaules et reprit le chemin de l’asphalte. Une larme perla le long de son imper beige.
      Pas la sienne.

  3. Merci pour cet article,
    Si je faisais déjà attention à changer de paragraphe lorsque je change de sujet, je ne connaissais pas les progressions thématiques et linéaires. Je me coucherai moins bête ce soir 😉

    Cependant un détail me turlupine. J’ai toujours porté une attention particulière au fait de commencer un paragraphe par là où le précédent se termine. Cela permet de gagner en fluidité. Dans les deux exemples tirés de « l’Apprenti Épouvanteur », je vois que ce principe est respecté pour l’un d’eux (« Cela fait déjà un fils de casé. –> J’étais le septième enfant… »), mais par pour l’autre (« … mais le printemps tardait à venir –> Mon père était fermier »). Je vois une rupture dans ce dernier enchainement.
    Je sais bien que ce n’est pas une science exacte, mais cette préoccupation que j’ai est-elle légitime ou bien est-ce que je me complique la vie pour rien?

    1. Bonjour Jérôme.

      Merci pour ta question intéressante. 🙂

      Déjà, la première chose à savoir, c’est que la progression thématique linéaire est un mode de progression textuel parmi d’autres. Ce mode est intéressant car il crée une progression logique entre les paragraphes. On peut donc l’utiliser souvent mais il peut être intéressant de varier les modes de progression pour éviter la monotonie.

      Ensuite, pour répondre à ta question, tu n’es pas obligé de reprendre systématiquement la fin du paragraphe précédent pour commencer un nouveau paragraphe. La progression linéaire te permet de reprendre un élément au début, au milieu ou à la fin d’un paragraphe précédent. Ta méthode est bonne par contre, si ton paragraphe précédent est long. Dans ce cas, il vaut mieux s’appuyer sur un élément présent à la fin du paragraphe précédent (pour éviter que le lecteur ait oublié l’élément sur lequel tu t’appuies).

      Bonne journée à toi 🙂

  4. Merci beaucoup pour ton travail et pour cet article. Une mine d’or qui va d’ailleurs me pousser à acheter le livre mentionné plus haut sur l’an styllistique. 😉

  5. Très intéressant cet article. Je n’ai jamais vraiment écrit et un jour pour faire un petit jeu vidéo, un point & click, je me suis dit : « faut que je fasse un scenar » et je me suis mis à écrire n’importe comment. J’ai donc décidé de regarder des exemples sur internet, et j’ai écrit ,écrit, écrit et …
    j’ai adoré ça. Mais là encore c’était un long texte imbuvable et inutilisable. Je me suis donc posé la question : comment c’est foutu un roman pour ne pas être illisible et chiant? et me voila à découvrir, moi qui ne suis pas un littéraire, qu’un simple paragraphe c’est technique et que j’ai envie d’écrire une histoire. Alors MERCI pour ton travail clair et simple à comprendre et surtout de partager tout cela. J’ai plus qu’à m’entrainer à faire des paragraphes 🙂

    1. De rien Anthony 🙂

      ça me fait très plaisir que l’article te plaise. En tout cas, très intéressant d’avoir fait un point & click, c’est un exercice que je n’ai jamais fait ^^

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